Du 3 mai au 1er juin, de Tambacounda à Bissau
Toujours sur ma lancée solitaire je passe une de ces nuits en pleine brousse. C'est la fête de la Korité qui met fin au ramadan et je peux entendre les festivités au loin. Mais ce soir seule la forêt et son obscurité m'entoure. Un sandwich aux sardines un peu sec me remplit l'estomac. Je songe alors à ma journée et à celle du lendemain. Dans la solitude et la mystérieuse nature viennent alors d'étranges interrogations. Ai-je plus à craindre d'un homme mal intentionné ou d'un animal sauvage ? Les craintes peu rationnelles qu'on ne peut s'empêcher de contracter parfois lorsqu'on campe seul au milieu de nulle part. Je tends l'oreille, illumine les alentours. Je monte quelques scénarios en état d'hypervigilance. Évidemment aucun d'entre eux n'aura lieu durant cette nuit qui sera même excellente. Le lendemain matin, à à peine deux kilomètres de mon campement, je croise une horde de singes qui traverse la route. De loin je les prends d'abord pour des ânes ou des chèvres tellement certains étaient imposants. J'avais passé la nuit près de cette joyeuse troupe sans même le savoir.
Je continue alors ma course vers Cap Skirring où je suis censé être le 9 mai pour recevoir ma chère famille. Je pense beaucoup à eux. Jamais ils ne m'avaient autant manqués. Le voyage vous fait revoir vos priorités, et je comprends ces derniers mois que la famille en est une pour moi. J'ai à cœur de passer du bon temps avec eux.
J'avance bien avec cette motivation en tête. Cependant je dois me faire à l'idée que je ne pourrai arriver dans les temps. Je dois pour la première fois du voyage charger Marcel sur un taxi. C'est comme ça que je me rends de Kolda à Ziguinchor en 3 heures là où j'aurais normalement mis 3 jours. Il existe dans ce milieu un idéal qui voudrait qu'on fasse tous les kilomètres à vélo. Faire un saut en transport est alors perçu comme une triche. Il m'a fallu plusieurs semaines pour relativiser à ce propos. Le voyage parfait n'existe pas. Au contraire, heureux celui qui arrive à faire avec les conditions qui sont les siennes. En vérité, bien voyager c'est s'adapter.
À Ziguinchor, je retrouve Julien encore par hasard. Décidément le destin nous aime bien. On passe une agréable soirée improvisée au Clin d'œil, entre pastis et déhanchés latinos. On parle aussi d'amour et des gens qu'on aime. On énumère ces gens qui ont fait nos meilleurs moments. Tous ces amis à qui je donne des nouvelles de temps en temps et dont la complicité me manque. On pense à eux comme on chérit des trésors. Faut-il partir si loin pour comprendre à quel point nos proches nous sont chers ? En tout cas, cette distance nous fait revoir ces relations et offre une nouvelle dimension à ces amitiés.
Mais à l'aéroport de Cap Skirring, ce manque s'est vu comblé soudainement. Quel n'a pas été ma joie quand j'ai pu prendre dans mes bras ma maman, mon papa et ma sœur. Comme si je les avais quitté la veille tellement je les connais. Et comme si j'avais vécu 2 ans depuis qu'on s'était quitté à Malestroit. On profite d'une confortable maison en bord de mer pour se retrouver. Puis on parcourt la Casamance les 10 jours qui suivent ; Diakène Wolof, Ziguinchor, Abéné, Oussouye, etc. Je grave quelques souvenirs dans un coin de ma tête pour les prochains mois. Les adieux étaient plus durs que ceux du départ où l'excitation m'envahissait alors. Cette fois les larmes coulent. Je les observe tout le long des procédures de sécurité de l'aéroport, comme pour profiter le plus possible des derniers instants de leur présence. Et déjà je regagne ma minuscule chambre d'hôtel à Ziguinchor, dans le silence de la solitude qui vient se poser sur mes épaules.
Avant de quitter le Sénégal je me rends à Bignona. On m'y a conseillé un bon mécano pour que j'offre à Marcel des roues flambants neuves. La famille m'a ramené des jantes ultra solides et des pneus à haut rendement. Je peux compter sur les mains bien inspirées du mécanicien Baye Fall pour les mettre en ligne. Après la chose faite, le président passionné du club de cyclisme Abdou Mané me propose une chambre pour la soirée. Juste après y être arrivé le déluge s'abat sur Bignona. Un coup de tonnerre retentit, c'est le début de la saison des pluies. Le lendemain je reprends ma quête du sud et passe la frontière de la Guinée Bissau. Il me faudra 3 jours seulement pour rejoindre la capitale de ce petit pays. Je passerai les 3 prochaines semaines à Bissau.
Je suis tout d'abord accueilli dans le quartier de Plack 1 par Antonio, une énième connaissance de connaissance devenue ami. Je passe quelque temps en compagnie de sa charmante famille. Il est moins évident de communiquer ici puisque la langue officielle est le portugais. J'arrive quand même à échanger de belles intentions avec Nadia et ses enfants. Je dors sur un matelas disposé à côté de la table à manger du salon. Quand je ne suis pas à la maison je suis avec Antonio et ses amis au bar. L'alcool va bon train ici ; bière, vin, caipirinha, etc. Mais ces breuvages vont mal avec mon mode de vie actuel. J'essaye de limiter la consommation mais dans un milieu où personne ne parle français, l'alcool aide aussi à s'intégrer.
Au bout du quatrième jour, je me reconcentre sur mes objectifs. Je quitte les quartiers nord pour me relocaliser dans le centre ville, plus proche du port. En effet je suis venu à Bissau pour visiter l'archipel des Bijagos ; un ensemble de 80 îles au large des côtes. Il me faut désormais préparer cette prochaine aventure en haute mer. -